Uderzo, Art Spiegelman, Zep, Hugo Pratt… à ces noms prestigieux de monuments de la BD s’est ajouté depuis mercredi un soir un nouveau : celui de Riad Sattouf. L’auteur de la série « l’Arabe du futur » a été désigné, par le vote de ses pairs, Grand prix de la ville d’Angoulême, en ouverture du festival international qui démarre demain et se poursuit jusqu’à dimanche. Il a été préféré à Catherine Meurisse et l’américaine Alison Bechdel, toutes deux finalistes, et succède ainsi à la canadienne Julie Doucet, lauréate l’an passé.
De quoi combler de joie le dessinateur, au sourire espiègle sous la barbe bien taillée : « Je suis sidéré, ému et très heureux ! Quand j’étais ado, je rêvais de faire des livres, je suis devenu passionné très jeune. N’étant pas du tout d’un milieu culturel prédisposé à l’expression artistique, je rêvais d’atteindre ce continent interdit, le continent des auteurs ! C’était pour moi déjà un sommet immense à gravir. Alors avoir un jour le Grand Prix à Angoulême, comme Druillet, Moebius, Bilal… Je n’y ai jamais même pensé. Il y a quelque chose d’abstrait, surtout que c’est un vote, une sorte d’élection… le vote des auteurs… C’est très émouvant ! » confiait-il.
Il est peut-être le seul à ne pas y avoir pensé. Car, depuis près de dix ans, l’auteur au naturel discret a réussi ce qui reste une jauge en BD : faire connaître son nom bien au-delà du rayon des amateurs de bulles. Sa potion magique à lui a un nom, plutôt étrange d’ailleurs « l’Arabe du futur », en référence au panafricanisme, une saga autobiographique qu’il vient juste de boucler par un magistral 6e tome.
Il y raconte son enfance entre Syrie et Bretagne, entre le pays de son père et celui de sa mère, leur divorce, la séparation d’avec son frère… Une histoire intime mais pleine d’humour qui séduit dès le premier tome. La critique adore, le public suit et l’album est offert Fauve d’or à Angoulême. Depuis, il s’est vendu plus de 3 millions d’exemplaires de la série partout dans le monde. « Je fais des bandes dessinées pour les gens qui n’en lisent pas. Si ce prix peut convertir de nouveaux lecteurs en cet art que j’aime tant, j’en serai très heureux ! » a réagi-il ce mercredi. Mais ce Grand prix ne s’appuie pas seulement sur ce succès phénoménal.
De « Pascal Brutal » aux « Cahiers d’Esther »
Dès ses débuts en 2003, alors qu’il s’est installé en atelier avec Christophe Blain, Joann Sfar et Mathieu Sapin, Sattouf se fait remarquer avec « les Pauvres Aventures de Jérémie », portrait hilarant d’un loser, qui décroche le prix Goscinny du meilleur scénario. Suivent « La vie secrète des jeunes », publié dans « Charlie Hebdo », puis « Retour au collège », et surtout « Pascal Brutal », sorte de Rambo de banlieue hypermusclé, hypersexué, hypermacho mais bisexuel. Le tome III décrochera un deuxième Fauve d’or à Angoulême, preuve que le festival fait déjà les yeux doux à Riad Sattouf.
La récompense suprême accordée aujourd’hui, l’auteur aurait peut-être pu d’ailleurs la décrocher plus tôt. En 2016, alors que son nom figure sur la liste des possibles lauréats, il sait qu’il se retire, « gêné » par l’absence de femmes dans la compétition. Confronté à deux femmes cette année, il se dit plus serein par rapport à la « féminisation » de la profession : « Je pense qu’il y a une meilleure représentation des autrices qu’à l’époque », estime l’auteur.
VIDÉO. Riad Sattouf : « Pour Esther, les garçons sont des super bourrins ! »
Libéré de « l’Arabe du futur », Riad Sattouf poursuit aujourd’hui son autre série à succès, « les Cahiers d’Esther », basée sur des anecdotes recueillies auprès d’une adolescente d’aujourd’hui. Il a aussi du temps pour se consacrer à son autre passion : le cinéma. Après le formidable succès des « Beaux gosses », en 2009, et le ratage de « Jacky au royaume des filles », en 2014, il travaille désormais sur le scénario du film qui signera le retour des Inconnus. Sans bien sûr lâcher la BD… D’ailleurs, quand on l’interroge sur ce qu’on peut lui conserver pour la suite, la réponse est claire : « Publier encore de très nombreux livres ! J’aime le titre du film de Resnais, réalisé à la fin de sa vie et dont l’enthousiasme me plaît beaucoup : Vous n’avez encore rien vu ! »