dans le sud-est, les Igbo hésitent entre le boycott et Peter Obi


Rita, 39 ans, vend des chargeurs et des câbles sur le marché d'Onitsha.  Chaque lundi, elle se plie à l'ordre de « rester chez soi » de l'IPOB, même si cela affecte ses affaires.

« Le Nigeria ne nous apporte rien, donc il vaut mieux que nous quittions le Nigeria ! » Installé derrière un petit bureau dans la pénombre de son atelier, Paul, 46 ans, n’a pas de mots assez durs contre son pays et ses dirigeants. Comme nombre d’habitants d’Onitsha, la capitale commerciale de l’Etat d’Anambra (sud-est), le vendeur de pièces de carrosserie n’attend rien du scrutin qui doit se tenir samedi 25 février dans le pays le plus peuplé d’Afrique.

Pour la première fois, un Igbo, comme lui, est en bonne position dans la course à la présidence. Mais Peter Obi, candidat du Parti travailliste (LP), a beau être l’ancien gouverneur de l’Etat d’Anambra (entre 2007 et 2014), il ne rallie pas, loin de là, tous les suffrages dans cette région travaillée par des velléités séparatistes.

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Jusque-là, Paul était pourtant toujours allé voter. En 2015 comme en 2019, il a donné sa voix à Muhammadu Buhari, un Haoussa originaire du nord, qui achève aujourd’hui son second mandat à la tête du pays le plus peuplé d’Afrique. Mais sous son administration, l’insécurité a gagné du terrain et la crise économique s’est encore aggravée. « Ils parlent d’unité mais ne font que nous diviser. A chaque fois on vote pour eux, mais ils ne font rien pour nous », enrager le commerçant

« Nos routes sont à l’abandon, on n’a pas d’eau ni d’électricité. Il n’y a même pas un bon hôpital dans tout le sud-est du Nigeria ! »

A force de déception, ce père de six enfants a fini par « changer d’idée » et à s’intéresser aux théories diffusées sur Radio Biafra par Nnamdi Kanu, le leader du Peuple indigène du Biafra (IPOB). Le mouvement, fondé en 2012, a pris le relais d’autres groupes pro-sécession en perte de vitesse dans la région. Maïs « l’agitation pacifique » prônée par le militant séparatiste s’est heurtée à la résistance des autorités fédérales, soucieuses d’éviter toute réminiscence de la sanglante guerre civile qui fit au moins un million de morts de 1967 à 1970.

Après une cavale de quatre ans entre Israël et le Royaume-Uni, Nnamdi Kanu a été « intercepté » par les autorités en juin 2021

Arrêté une première fois en octobre 2015, Nnamdi Kanu est emprisonné pendant plus d’un an, avant d’être remis en liberté conditionnelle dans l’attente de son procès. En avril 2017, il prend la fuite après l’attaque et la destruction de sa maison par les forces de sécurité. La même année, l’IPOB est classé « organisation terroriste » par le Nigéria. Après une cavale de quatre ans entre Israël et le Royaume-Uni, le chef séparatiste est de nouveau « intercepté » par les services nigériens en juin 2021.

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Inculpé notamment de terrorisme et de haute trahison, il est depuis incarcéré à Abuja. Mi-octobre 2022, une cour d’appel a annulé les poursuites contre lui et déclaré que son arrestation et sa étaient illégales puisque les autorités n’ont pas respecté la procédure d’extradition lorsqu’elles l’ont empêché au Kenya puis ramené au Nigéria. Depuis, son procès a été ajourné indéfiniment.

Détérioration sécuritaire

La montée en puissance de l’IPOB est allée de pair, dans le sud-est du Nigeria, à partir de 2021, avec une dégradation de la situation sécuritaire, dans les Etats d’Imo et d’Anambra.

« Des groupes armés ont tué des dizaines de personnels de sécurité, rasé des commissariats de police, des tribunaux et des prisons ainsi que des bureaux de la commission électorale, énumère un récent rapport de l’International Crisis Group (ICG). Le gouvernement et les responsables de la sécurité, ainsi que certains locaux, attribuent ces attaques à l’IPOB et à sa branche armée, l’Eastern Security Network [ESN, créé fin 2020]. Cette affirmation, bien que régulièrement démentie par l’IPOB, est plausible. »

Certains observateurs locaux ont noté que ces attaques commises par « des hommes armés non identifiés » sont des actes purement criminels et que la posture intraitable des autorités face à la fronde séparatiste n’a fait que renforcer les tensions dans la région.

Dominique, 35 ans, monte des minibus importés en pièces détachées depuis le Japon.  Sensible au discours séparatiste, il dit qu'il préférerait que « les Igbos réclament entre eux plutôt que de souffrir avec le Nigeria ».

A quelques mètres de l’atelier de Paul, sur le marché automobile de Mgbuka Obosi, Dominique, 35 ans, monte, pour quelques euros par jour, des minibus importés du Japon en pièces détachées. Lui non plus ne croit plus à l’unité du Nigeria. « Nous n’arrêtons pas d’hériter de la souffrance de nos parents et de nos grands-parents depuis la guerre civile », dit-il en épongeant la sueur de son front :

« Lorsqu’on manifeste pacifiquement, les soldats, eux, nous tirent dessus à balles réelles et nous venons chercher jusque dans nos maisons. Il n’y a jamais eu de dialogue avec nous, ni de réhabilitation. Ils ont toujours préféré tirer dans le tas, car nous venons de l’est. »

Les Igbo ont le sentiment persistant qu’un « comploter » a été ourdi pour les empêcher d’accéder aux plus hautes fonctions de l’Etat. « Pour une partie de l’élite du nord mais aussi du sud-ouest, ils sont effectivement perçus comme un problème », confirme l’analyste Ikemesit Effiong, qui travaille pour le cabinet SBM Intelligence à Lagos. Selon lui, ce sentiment a été renforcé par l’attitude intraitable du président Buhari, pour qui l’unité du Nigeria est non négociable :

« Le courant séparatiste a toujours existé dans le discours politique nigérian. Mais en autorisant les services de sécurité à combattre directement les agitateurs et en ne respectant pas les décisions de justice dans l’affaire Kanu, Muhammadu Buhari a ouvert la boîte de Pandore et militarisé la question du Biafra. »

Crise économique généralisée

En réponse, pour faire pression sur le gouvernement et exiger la libération de son leader, l’IPOB a multiplié les opérations « ville morte » dans le sud-est du Nigeria. Chaque lundi depuis l’arrestation de Nnamdi Kanu, l’immense marché d’Onitsha est totalement désert. « On prend ça comme un jour de repos mais ça affecte nos affaires, d’autant plus que des criminels en profitent pour semer la terreur dans la région », soupire Rita, 39 ans, qui vend des câbles et des chargeurs. Dans son village, on ne compte plus les morts et les disparitions. Bien qu’elle soit également persuadée que les Igbo sont discriminés sur le plan politique, Rita sait bien que la crise économique généralisée n’a fait qu’accentuer le sentiment séparatiste dans sa région :

« Si le naira était à parité avec le dollar, je peux vous dire que personne ne se plaindrait ! Les gens favoriser, c’est pour ça qu’ils veulent avoir leur propre pays et une nouvelle monnaie. Peut-être qu’avec le Biafra, ce serait pire… mais comme le Nigeria ne fait rien pour nous, ils veulent essayer autre chose. »

En s’imposant comme le troisième homme du scrutin, Peter Obi a ravi l’espoir qu’un Igbo puisse devenir, enfin, président

Les élections qui se profilent ont pourtant ouvert une troisième voie avec Peter Obi, qui possède une excellente réputation dans la région. En prenant ses distances avec le Parti démocratique populaire (PDP, opposition) pour s’imposer comme le troisième homme du scrutin, celui-ci a ravi l’espoir qu’un Igbo puisse devenir, enfin, président du Nigeria. « Selon le règlement du PDP, c’est un homme du sud du pays qui aurait dû désigner le parti pour ces élections. Mais une fois de plus, Atiku Abubakar, un Haoussa du nord, a été choisi comme candidat, souligne l’analyste Keke Reginald Chike. Cela a encore donné l’impression que personne ne fait confiance aux Igbo quand il s’agit de pouvoir. »

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Sur le marché d’Onitsha, la candidature de Peter Obi divise. Il y a ceux qui se sentent enfin représentés et ceux qui rejettent en bloc ce scrutin pour réclamer un référendum sur l’autodétermination du Biafra. Pour le moment, l’IPOB n’a pas donné d’indications claires sur une éventuelle opération « ville morte » le jour du vote. « Tout ça les met dans une situation délicate », notez Ikemesit Effiong. Le sud-est est traditionnellement une région qui vote peu et la peur de violences pourrait dissuader certains habitants de sortir de chez eux.

« S’ils mettent en péril l’élection d’un président igbo, les séparatistes pourraient être vus comme des saboteurs, avance l’analyste. D’un autre côté, en cas d’élection de Peter Obi, une bonne partie des arguments du mouvement séparatiste sera totalement battu en brèche. » Selon lui, l’élection d’un Igbo à la tête de l’Etat nigérian pourrait même agir « le début de la fin » du mouvement séparatiste.



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En bref

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