Récit onirique de passage à l’âge adulte, biopic, drames historiques… La première journée du festival lillois a régalé un public survolté.
De nos reporters à Lille,
« Ne vous trompez pas, si je suis ici, c’est pour voir des séries, mais aussi pour faire du shopping et me taper des andouillettes », s’est exclamée Lisa Joy en préambule à la conférence de presse du jury de la compétition internationale de Série Mania 2023, donnée ce samedi au Théâtre du Nord. Nous ne nous tromperons pas. Nous savons aussi la passion de la scénariste, réalisatrice et productrice pour l’univers sériel. Après Westworld sublime réinterprétation du célèbre roman scénario de Michael Crichton, elle a signé un accord majeur avec Prime Video pour qui elle a déjà livré Périphériques et bientôt l’adaptation du jeu vidéo Tomber . Autour d’elle, Emmanuelle Béart, la franco-cérébrale du groupe, l’acteur renvoyé Judah Levy, l’auteur anglais Chris Chibnall (Dr Who), le réalisateur indien Anurag Kasyap (La boîte à lunch), tous heureux d’être là, conscients de la responsabilité qui leur est désignée, et déjà conquis par une sélection pointue.
Grèce des montagnes, loin des cartes postales
Maria et Joseph dans Milky Way Production de foss
Après la Salade grecque de Cédric Klapisch, leur a été servie une soupe aux lentilles poétique et éthérée sur fond de récit de passage à l’âge adulte hellénique, baptisée voie Lactée, comme la voie lactée que contemple son héroïne Maria quand elle souffre de vague à l’âme. La lycéenne de terminale rêve de quitter son village de montagnes pour devenir danseuse de hip-hop à Athènes. Une grossesse imprévue remet tout en question. Étonnamment, la série évite soigneusement les pocifs abortifs – parents, encadrement pédagogique, petit copain à la ramasse – pour mieux se concentrer sur la question du choix, si difficile au moment de l’adolescence. Primé à Cannes, le réalisateur Vasilis Kekatos, marche dans les pas de Xavier Dolan dans sa manière d’aborder l’homosexualité, via le personnage du nouveau venu Joseph. L’artiste est venu avec une troupe pléthorique. Ils étaient une trentaine, à fouler le tapis violé, provoquant d’improbables mouvements de foules, en plein après-midi. Les gens décidément sont susceptibles et énervés.
Bardotnon La Couronne english
Dans un registre différent, la sculpturale Julia de Nunez, incarnation nouvelle de l’éternellement sensuelle Brigitte Bardot dans le biopic du même nom signé Danièle Thompson pour France télévisions, a fait tourner les têtes. Le pari est osé : une exploration de la France des fifties et des sixties à travers son idole. Le paf semble avoir trouvé son La Couronne hexagonal. Sans couronne ni château, mais de structure analogue. Le destin de BB permet l’évocation d’une époque marquée par la guerre d’Algérie, le choc de Et Dieu créa la femme, et l’émancipation de celle-ci. Une série culottée présentée en concours français.
Julia de Nunez et Victor Belmondo incarnent BB et Roger Vadim Fédération
Maïs Bardot avait de la concurrence… HPI a présenté les deux premiers épisodes de la saison 3. À l’écran comme à la ville, Audrey Fleurot-Morgane Alvaro débarque en fanfare, en musique tout au moins, dans une nouvelle salve d’épisodes, tendance Bollywood, piscine, bouées flashy , tenue fuchsia sexy. L’héroïne de série préférée des Français se lâche, en mode clip de rap, mais comme chacun sait, le bonheur est généralement de courte durée… En conférence, l’équipe a annoncé un épisode avec des vampires, des amants pour Morgane , et, et, et… Chut ! Rendez-vous courant mai sur TF1.
Le drame des enfants autochtones au Canada
Autre registre, autre belle découverte numéro du Panorama international, Petit oiseau de Zoé Leigh Hopkins, sur la rafle des enfants indiens aux Canada dans les années 1960, qui n’est pas sans rappeler la politique mise en œuvre au Royaume-Uni à la même époque, où les services sociaux privaient les mères célibataires ou supposées fragiles de leur progéniture pour les confier à l’adoption. Porté par un casting magnifique dont Lisa Edelstein (Dr house) et Eric Sweig du Dernier des Mohicans, cette fable sociale horrible dans la veine des films de Ken Loach mais sise dans les étendues sublimes de l’Ouest canadien, est centrée sur Esther (Darla Contois), rattrapée par ses origines, à l’heure où elle se fiance, dans la pure tradition juive, avec David. Comment apporter sa contribution à la renaissance du peuple juif après la Shoah quand on ne sait pas soi-même d’où l’on vient ? La question est terrible. La réponse l’est tout autant.
Les confidences de Philippine Leroy-Beaulieu et Brian Cox
Côté masterclass, les invités d’honneurs – la boss impitoyable d’Émilie à ParisPhilippine Leroy-Beaulieu, et celui, plus terrifiant encore de Succession, Brian Cox – ont fait le plein. Le succès de la série de Darren Star (Netflix) a permis à la comédienne de Trois hommes et un couffin de faire un retour flamboyant. Séries Mania lui a donc proposé de se raconter dans une masterclass, exercice difficile mais mené avec l’humilité et l’autodérision qui la caractérisent. Normal, souligne cette fille de comédien, qui dit avoir grandi dans une famille où l’on maniait l’humour à l’italienne tel un art de vivre. « Cédric Klapisch m’a sortie de ma tombe avec Dix pour cent, rappel-t-elle. Mais cette période a été très enrichissante. Les obstacles sont un cadeau de la vie car ils vous font grandir. » En projet ? Une nouvelle saison bien sûre.
Aussi charmant dans la vie qu’il est intraitable à l’écran, l’Écossais Brian Cox a régalé l’assistance de sa passion pour Shakespeare, rappelant que le théâtre reste son premier amour et qu’il a hâte de retrouver les planches maintenant que Succession se terminer. Avec sa franchise coutumière, le septuagénaire a appelé de ses vœux la fin du patriarcat et prône l’avènement du matriarcat. Une déclaration teintée de tristesse. Sa sœur, qui l’a élevée, est décédée il y a quelques jours seulement. La star a conservé tenu à honorer ses engagements lillois.
Saar et Ali, le duo d’amis que la guerre et les services secrets vont se séparer dans Red Skies Eyal Efrati
La journée s’est achevée sur un pic d’adrénaline collectif autour de la projection du thriller diffusé Ciel rouge. Présenté au Nouveau Siècle en compétition officielle, ce portrait de deux amis d’enfance, l’un renvoyé, l’autre palestinien, séparés par la deuxième intifada (2002), a provoqué un tonnerre d’applaudissements et de discussions dans les travées. Encore une réussite du créateur Ron Leshem (No Man’s Land), un habitué de Séries Mania.